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L’unité d’Italie Et la question du Mezzogiorno revue et corrigée

Posted by on Set 3, 2017

L’unité d’Italie  Et la question du Mezzogiorno revue et corrigée

En 1961, lors du centenaire de cette sacro-sainte unité d’Italie, j’ai gagné une bourse, assez appréciable, allouée aux enfants ayant écrit les cent meilleures dissertations sur le sujet.

Je me souviens encore de l’émotion de ma famille réunie autour d’un repas dominical, tant ma lecture était passionnée, pleine de ferveur. Je n’ai jamais su si leurs larmes étaient de joie ou de tristesse. Il faut dire que le lavage du cerveau avait commencé bien avant ma génération.

Ce que je peux difficilement pardonner aux institutions italiennes est de nous avoir persuadés que, nous les Napoli – comme les Italiens du haut appellent ceux du bas – avant cette annexion, nous étions pauvres, rétrogrades, oppressés par une monarchie cupide et réactionnaire, et qu’une poignée de patriotes héroïques étaient venus nous libérer du tyran pour nous élever au rang de « peuple civilisé ».

Jean-Noël Schifano l’a bien dit dans un article remarquable (La Repubblica du 10/02/11) : la plupart des Napoli comme moi ne savent pas qui ils sont, notamment ceux qui n’ont pas eu l’idée ou la possibilité d’aller fouiner dans les livres ou qui ne se sont tout simplement pas posé les bonnes questions.

Quant à moi, sans trop savoir pourquoi, depuis mon plus jeune âge j’ai toujours voué un amour farouche à ma terre natale que je défendais contre toute attaque, ce qui amusait beaucoup mon entourage. Plus tard, dès mon entrée dans le monde des adultes, j’ai commencé à ressentir, collé à ma peau méridionale, un certain mépris ambiant. Un mépris qui a fini par nous distiller sournoisement, à nous les Napoli, un terrible complexe d’infériorité mêlé à un sentiment de culpabilité, pour ne pas avoir su évoluer, pour ne pas avoir suivi l’exemple des gens du Nord, si industrieux, si progressistes. « Je vais voter pour la Ligue, eux au moins prouvent qu’ils savent valoriser leur région. Nous, le Napolitains, nous sommes nuls, nous sommes des moins que rien », c’est ce que m’a dit mot à mot, sur un ton plein de colère, un jeune chauffeur de taxi en février 2011. Et il s’efforçait de parler un italien sans accent. Car on nous a aussi inculqué l’idée que la langue napolitaine, cette langue qui était la nôtre, celle de grands écrivains et poètes, cette langue qu’on chante dans le monde entier (car toutes les chansons dites « italiennes » sont napolitaines), est un « dialecte vulgaire » réservé aux petites gens. Le parler napolitain n’est pas de bon ton en société.

En ce qui me concerne, je n’ai jamais eu honte de parler ma langue maternelle, j’ai toujours entretenu avec amour mon accent napolitain et refusé de tomber dans cette résignation défaitiste. « Bon sang », me suis-je dit, dès que j’ai commencé à étudier les monuments et l’histoire (ancienne) « mais tout ce patrimoine artistique, littéraire, historique, ne peut pas avoir vu le jour dans un pays misérable, arriéré, léthargique, immobiliste. Certes, les grandes civilisations déchues sont légions – car le Sud de l’Italie est bien dans une situation de déchéance et de délabrement -, mais notre grandeur date d’hier et non de la haute antiquité ! Le Sud de l’Italie a toujours été « grand » depuis l’Antiquité jusqu’à…  ». Et oui jusqu’a à quand au fait ?

Après avoir écouté quelques voix politiquement incorrectes, j’ai enfin découvert que ce « jusqu’à » aboutissait à cette sacro-sainte unité d’Italie.

Aujourd’hui, cinquante ans après avoir gagné ma bourse, je peux enfin y ajouter cet erratum. Je dois en remercier, entre tant d’autres, Maria Orsini Natale, Jean-Noël Schifano et finalement Giuseppe Ressa qui a eu le grand mérite d’accomplir un véritable travail de fourmi. Pendant cinq ans, ce médecin Napoli a passé au crible douze mille pages, entre documents et textes historiques, pour découvrir qui nous étions et ce qui a causé notre perte. Il a enfin écrit un ouvrage, que l’on peut consulter gratuitement sur le web, dans le seul but de dévoiler à ces concitoyens l’autre face de l’histoire, celle qu’on nous cache à l’école. Cet écrit étant une somme, je m’en suis directement inspirée pour donner une conférence dans la salle du Centre Culturel Italien le 3 mars 2011. Je connais la belle curiosité des Français et suis persuadée qu’elle intéressera ceux que le hasard amènera à consulter mon site.

A ce point, un « NOTA BENE » s’impose : je ne plaide pas la cause d’un retour des Bourbons (l’époque dont je parle voyait les Bourbons s’opposer à une autre monarchie, et non à une république). Je ne suis pas une « séparatiste » non plus. Je souhaite simplement que l’on rende (au moins moralement) à César ce qui est à César.

« Ce qui est donné est donné, ce qui est reçu est reçu, oublions le passé, Napolitains ! » dit une chanson napolitaine (Simmo ‘e Napule paisà de Fiorenti et Valenti – 1944). Mais, en dépit du merveilleux message de tolérance, ce beau sentiment qui anime tout mon peuple (et qui m’anime), j’avoue que ce passé est une trop grosse couleuvre, trop dure à avaler. Surtout en ces moments douloureux que vit l’Italie, en ces moments où les propos insultants adressés aux Napoli deviennent insoutenables.

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est bien de souligner que la perte de mémoire des Méridionaux a été orchestrée par les autorités post-unitaires en utilisant plusieurs méthodes. L’occultation des sources d’information n’a été qu’un instrument parmi d’autres. L’extrait de cette lettre écrite (28 oct. 1861) par le successeur du compte de Cavour au préfet de Naples, au sujet de la destruction de documents compromettants inhérents à l’annexion du Sud, se passe de commentaires : « Le Gouvernement de S.M. a le devoir d’attirer l’attention de V.E. sur le très important sujet concernant les archives de l’ex-Ministère napolitain des Affaires Etrangères … lesquelles contiennent des papiers d’une importance politique considérable. Le transfert de ces documents aux Archives Générales pourrait être extrêmement dangereux, surtout lorsqu’on considère que la loi de 1818 donne à la population accès libre à ces archives et que, donc, chacun peut obtenir une copie de n’importe quel document. Or, le Gouvernement du Roi qui souhaite clore définitivement l’époque des dissensions italiennes, ne peut pas permettre que l’on alimente sans cesse les récriminations rétrospectives par une publicité dont lui seul peut en déterminer la forme et l’opportunité. »

 

La situation de la presse de l’après-unité était pour le moins désastreuse, j’en donnerai les détails plus bas. A présent, procédons par étapes pour essayer d’expliquer, le plus succinctement possible, les tenants et les aboutissants de cette tragédie italienne.

 

Situation politique de l’Italie avant 1860

 

A la veille des guerres d’indépendance, l’Italie était divisée en sept états dont quatre étaient sous la domination directe ou indirecte de l’Autriche, à savoir : le duché de Parme, le duché de Modène, l’archiduché de Toscane (en vert) et le royaume de Lombardie et Vénétie (en bleu). Les trois états indépendants étaient : le royaume de Sardaigne (en orange), l’Etat Pontifical (en rouge), le Royaume des Deux Siciles (en jaune).

 

A cette époque, 2.5% des habitants de la péninsule parlent l’italien, le restant de la population s’exprimant dans son idiome régional. L’italien (ou plutôt le toscan) est adopté, à partir du XIVe siècle, exclusivement par les hommes de lettres fascinés par l’œuvre de Dante Alighieri, mais jusqu’à une époque assez récente, il demeure une langue écrite, d’où la simplicité de l’orthographe italienne.

Quant au commerce, seul 20% des transactions commerciales globales se déroulaient entre les différentes régions de la péninsule.

 

Le Royaume de Naples et de Sicile

 

C’est lors du Congrès de Vienne (1814-15) que le royaume est appelé «des Deux Siciles », et que Ferdinand IV, devenu Ferdinand I, doit annexer la Sicile jusqu’alors indépendante (une indépendance très relative).

Le Royaume naît en 1070 avec Roger le Normand qui réussit après moult batailles à unifier tout le sud jusqu’alors morcelé en plusieurs petits états. Il fait de Palerme sa capitale. Le royaume prend un essor prodigieux qui se poursuit avec Frédéric II d’Hohenstaufen. La dynastie suivante, les Angevins (1266) déplacent leur capitale à Naples qui le restera jusqu’en 1860. À partir de 1282, après la révolte dite des Vêpres Siciliens, la Sicile passe aux Aragonais et demeure « indépendante » jusqu’au Congrès de Vienne (1814-15). Après les Angevins, les Aragonais, puis les Espagnols et les Autrichiens se suivent sur le trône de Naples. Les Papes, qui s’arrogent un « droit de regard » sur le Sud, par un document fantôme appelé donation de Constantin, sont en grande partie à l’origine de ces changements continuels. Finalement, en 1734, Charles de Bourbon, fils de Philippe V, devient roi de Naples et de Sicile. Les Bourbons ne partiront que lorsque l’Italie sera unifiée.

 

Victor Emmanuel II de Savoie est à la tête du Royaume de Sardaigne dont la capitale est Turin (en Piémont). C’est ici que naît l’idée d’unifier l’Italie, dans le seul but de chasser les Autrichiens. A ce moment-là, personne ne pense donc à annexer l’Etat Pontifical, et encore moins le Royaume des Deux Siciles.

Le Piémont, grâce à cette idée réunificatrice aux accents libéraux, devient le pôle d’attraction de tous les exilés politiques italiens. Leur nombre s’élève peu à peu à cinquante mille personnes qui seront intégrées dans la classe dirigeante subalpine.

Certains réfugiés politiques méridionaux, exilés par le roi Ferdinand II (voir plus bas), commencent à œuvrer pour que l’Italie englobe le royaume des Deux Siciles.

 

AVANT ET APRÈS L’UNITÉ POINT PAR POINT

 

On dit et on lit que les Bourbons de Naples étaient des monarques totalitaires et réactionnaires, que le Sud était pauvre et arriéré. Les textes scolaires et « officiels » nous le répètent à l’envi. Je fais ci-dessous une synthèse des informations tirées de documents d’archives et de faits incontestables. Ces données ne relèvent donc pas de mon opinion personnelle. La bibliographie très étoffée qui a servi à les rédiger me semble une garantie suffisante de ce que j’avance.

 

  • La société, l’agriculture et l’économie dans le Sud avant l’unité

 

Le nombre d’habitants s’élève à env. 9 millions, ce qui représente 36.7 % de la population de la péninsule.

D’après le recensement de 1861, le pourcentage de pauvres est égal à 1.34 % de la population (le même que dans les autres régions d’Italie).

De l’annuaire statistique italien de 1864, il ressort qu’un méridional consomme 418 g de glucides contre les 270 g consommés dans le Centre et le Nord lesquels étaient obligés de recourir à l’importation. L’alimentation méditerranéenne inclue également de nombreux légumes verts et secs, ainsi que du fromage, du lait et du poisson. Des scientifiques européens réunis en congrès à Naples en 1845, déclarent que les augmentations salariales réclamées par les ouvriers ne sont pas justifiées, dans la mesure où la nourriture dans les Deux Siciles est « facile et peu coûteuse ». La politique interne, en effet, fait en sorte que les prix des produits alimentaires restent très bas.

     Le système fiscal est le plus modéré d’Italie. Les impôts directs se résument, en fait, aux impôts fonciers qui représentent 3.2 % du revenu déclaré.

     La première caisse de retraite d’Italie fut instituée en 1813 par Joachim Murat (moyennant une retenue de 2 % sur le salaire des fonctionnaires uniquement). Cette mesure est maintenue par Ferdinand I à son retour sur le trône. Ce n’est pas le cas dans les autres Etats de la péninsule.

On compte le plus haut pourcentage de médecins : 9390 praticiens pour 9 millions d’habitants. Il y en a 7087 pour les 13 autres millions d’Italiens. Grâce à une politique avisée favorisant la vaccination contre la variole, promulguée en 1818, on atteint une couverture des 90-93 % des nouveau-nés. Dans le Sud, il y a ainsi le taux de mortalité infantile le plus bas d’Europe. Dans le Royaume de Sardaigne, la vaccination ne devient obligatoire qu’en 1859.

C’est également Ferdinand IV qui, en 1789, signe un code de lois progressistes (pour le  consulter: www.realbelvedere.it/index.php/la-real-fabbrica/3-lo-statuto-di-san-leucio.html) qui s’applique à San Leucio, un village expérimental où l’on construit des soieries qui deviendront célèbres. A San Leucio, l’instruction est obligatoire, la femme est l’égale de l’homme, les jeunes filles reçoivent une dot par l’Etat, les époux peuvent se choisir sans l’accord des parents, les malades et les vieux sont assistés par l’Etat…

     Quant à la production agricole, il est bien de préciser que le Sud produit (par rapport au territoire italien) 50.4 % du blé, 80.2 % de l’orge et de l’avoine, 53 % des pommes de terre, 41 % des légumes, 60 % de l’huile d’olive. Le Sud est en tête de liste pour l’élevage de moutons, cochons et chevaux. Le pays compte 1000 industries agroalimentaires.

En ce qui concerne l’économie, tout le système monétaire est garanti en or pur, sur la base de 1 à 1. Les cours boursiers des titres d’Etat sont très élevés sur l’ensemble des marchés européens (jusqu’à 120). Tant et si bien que les Rothschild fondent leur première banque étrangère à Naples.

L’Etat applique ce qu’on appelle aujourd’hui un prix « politique » pour les denrées de première nécessité. Ce « protectionnisme » relatif permet de nourrir la population avant de satisfaire les exigences des propriétaires terriens (qui possèdent 25 % des terres arables). Ces derniers, par conséquence, ruent dans les brancards et, le moment venu, n’hésiteront pas à s’allier avec le Piémont contre le roi.

 

Quoiqu’il en soit, je donne la parole à un commandant piémontais, Alessandro Bianco di Saint-Joroz, qui, en tant que “partie adverse”, est d’autant plus crédible. Il écrit : “l’année 1860 trouva ce peuple, habillé, chaussé, industrieux, avec des réserves économiques. L’agriculteur possédait quelque argent et vendait bien ses animaux; il payait son loyer, il nourrissait facilement sa famille. Tous, dans chaque tranche de la population, vivaient contents de leur état matériel. A présent c’est tout le contraire.

     L’enseignement public était gratuit jusqu’en 1859; des universités littéraires et scientifiques dans toutes les villes principales de chaque province. A présent aucune université scientifique… Nobles et plébéiens, riches et pauvres, tous ici aspirent, sauf quelques rares exceptions, à un prochain retour des Bourbons.”

 

  • La société, l’agriculture et l’économie dans le Sud APRÈS L’UNITÉ

 

Vers 1880, dans 50% des communes du Sud, les agriculteurs sont tellement ruinés qu’ils sont obligés de dormir dans les étables avec leurs bêtes. Dans 25 % des communes, le pain et le froment sont devenus un luxe réservé aux jours de fête ou aux malades. Les trois quarts de la population sont illettrés et la mortalité infantile monte à 10%, devenant la plus élevée d’Europe. Car :

 

. En l’espace de vingt ans, les 30 millions d’hectares cultivables diminuent de moitié.

 

. On confisque les terres appartenant à l’église (40% des propriétés terriennes), sous prétexte que cette mesure va créer cent mille nouveaux propriétaires. Mais ces milliers de « chanceux », incapables de faire face à l’augmentation exorbitante des impôts fonciers – dont le paiement était exigé sur-le-champ -, sont obligés de revendre aussitôt leur bien aux riches propriétaires (unitaristes) pour un prix dérisoire. On doit attendre 1950 pour une réforme agraire (désormais bien inutile compte tenu de l’ampleur des dégâts irréversibles causés).

 

. En cinq ans, le montant global correspondant à l’impôt foncier monte de 40 à 70 millions de lires, alors que le Nord et le Centre n’en payent 52 millions.

Quelques exemples :

Les provinces de Naples et Caserte payent 9.6 lires par hectare contre ALORS QUE la moyenne nationale est de 3.33.

Après une prétendue mise à jour, le taux d’impôt calculé sur le revenu foncier en Calabre passe à 15 %, en Sicile à 20 %. En Lombardie et en Vénétie ce taux n’est que de 8.8 %.

Déjà deux ans après l’unité, on augmente les impôts fonciers dans le Sud (seulement), car les agriculteurs, vivant dans des petites agglomérations rurales et non dans des fermes isolées comme au Nord, payaient le même taux (cher) que dans les villes. On s’aperçoit seulement en 1906 qu’un bourg rural ne consiste qu’en trois maisons regroupées. Malheureusement, il est trop tard, il n’y a plus rien à prélever. Les conditions des paysans siciliens au début du XXe siècle sont comparables à celles des habitants pauvres du Sahel.

 

. En 1901, Le Sud ne produit plus que 22-23% du revenu national (il était de 40% avant l’unité), mais on y paye 35-37% des impôts directs perçus  globalement par l’Etat. La province de Salerne, par exemple, où l’on a fermé toutes les nombreuses fabriques textiles, paye plus de taxes que la très riche ville de Come.

 

. Cinq ans après l’unité, le protectionnisme économique (tant critiqué au temps des Bourbons) institué par le nouveau gouvernement, ferme les portes de l’exportation aux agriculteurs méridionaux qui subiront un coup mortel.

 

. Dans le Sud, les filiales des banques du Nord prolifèrent dans les cinq premières années de l’unité. Mais le Banco di Napoli doit demander une autorisation spéciale au gouvernement unitaire pour ouvrir ses filiales au Nord.

 

. Ce n’est qu’alors que l’on commence à émigrer. Avant 1861, l’émigration est inexistante. En 1900, sur 8 millions d’émigrés italiens, 5 millions sont des Méridionaux.

En 1901, le maire de Moliterno, une ville de la Lucanie, en saluant le chef du gouvernement en visite à sa ville, débute ainsi son discours : « Je vous salue au nom de mes huit mille concitoyens, dont trois mille résident en Amérique, alors que les cinq mille autres se préparent à les rejoindre …»

 

  • L’industrie avant l’unité

 

En 1860, il y a environ 5000 industries. Les Deux Siciles emploient 51 % des travailleurs vivant sur la péninsule. Lors de l’exposition universelle de Paris, en 1856, on décerne aux Deux Siciles le prix de troisième puissance industrielle du monde (et donc première en Italie).

On dénombre 100 industries sidérurgiques. La plus importante (34.000 m²) est située aux portes de Naples, à Pietrarsa. C’est à Pietrarsa, que l’on construit la première locomotive d’Italie. 1050 personnes y travaillent. La plus grande industrie du Nord, l’Ansaldo de Gênes, n’emploie que 480 personnes.

La Calabre compte le complexe sidérurgique de Morgiana, le premier fournisseur d’Italie de matières premières et de produits semi-finis.

A cette époque la Campanie, suivie de près par la Calabre, est la région la plus industrialisée d’Italie.

La fabrique d’armes de Torre Annunziata (Naples), construite en 1759, fabrique entre autres des armes de luxe parmi les meilleures au monde. La flotte de guerre est la deuxième du monde. Déjà en 1850, le vaisseau « Monarca », le plus grand navire de guerre d’Italie, compte 70 canons.

La flotte marchande (9800 navires) est la quatrième du monde. En 1856, à Naples il y a 25 compagnies de transport.

La balance commerciale des Deux Siciles avec les USA est fortement excédentaire.

Après les produits agricoles, les textiles font l’objet d’exportations. Salerne et sa province emploient 10500 travailleurs. Dans le même secteur, la plus grande fabrique du Nord (Piémont) en emploie 3744.

Parmi les nombreuses papeteries, celle de Fibreno était la plus grande d’Italie et une des plus connues d’Europe.

De toutes les industries extractives et chimiques, la production de soufre en Sicile couvre 90 % de la production mondiale. A noter qu’à cette époque, la chimie industrielle est presque entièrement dépendante du soufre, notamment pour la production des explosifs.

Les verreries et cristalleries couvrent les quatre cinquièmes de la demande des Etats italiens.

 

Quelques grandes premières  (liste non exhaustive) :

 

  • Premier observatoire sismologique du monde (1841).
  • Premier pont suspendu d’Italie (et parmi les premiers au monde). Le pont du Garigliano construit en 1832 en quatre à peine.
  • Premier télégraphe électrique d’Italie en 1852 [troisième après Londres (1838) et Paris (1844)].
  • Premier chemin de fer d’Italie en 1839 [troisième d’Europe après l’Angleterre (1825) et la France (1827). Et premier tunnel ferroviaire du monde (1858).

Premier éclairage au gaz d’Italie, à Naples, en 1840 (troisième d’Europe après Londres et Paris).

  • Premier corps de pompiers d’Italie.
  • Première goélette à vapeur au monde à pouvoir naviguer sur la mer, en 1818. Elle suscite un tel émerveillement que l’on trouve nombre de tableaux la représentant un peu partout dans le monde (on peut admirer un de ses tableaux dans la chambre de commerce de Marseille).
  • Premier bateau italien à atteindre New York au bout de vingt-six jours de navigation (le « Sicilia » 1854).
  • Premier théâtre lyrique au monde, le San Carlo construit en 270 jours, en 1737.
  • industrie et travaux publics APRÈS L’UNITÉ

 

La quasi-totalité des industries est abandonnée ou immédiatement fermée. Les mêmes industries surgissent au Nord comme par enchantement. On assiste, en fait, à des délocalisations avant l’heure. En vingt-cinq ans de temps, l’immense industrie sidérurgique de Pietrarsa est réduite au rang d’atelier de réparation.

On supprime toute subvention à la Marine Marchande qui est obligée de réduire ou suspendre son activité. Dès l’arrivée de Garibaldi à Naples, on hisse le drapeau des Savoie sur l’ensemble de la flotte (marchande et de guerre).

On annule tous les contrats – concernant la construction de chemins de fer – signés par les Bourbons avec les entreprises du Sud et on en rédige de nouveaux en faveur d’entreprises du Nord.

Les syndicats deviennent étrangement très agressifs à l’encontre des quelques entreprises méridionales rescapées, ce qui les ruinera davantage.

En somme, on relègue le peuple du Sud dans deux seuls secteurs : l’agriculture et la fourniture de main-d’œuvre pour les industries du Nord.

Les sommes allouées pour les travaux hydrauliques sont dérisoires au Sud et considérables au Nord. Voici la situation (en lires de l’époque) de 1862 à 1898 :

 

  • Lombardie              92.165.574 (nord)
  • Vénétie                  174.066.407 (nord)
  • Emilie                    103.980.520 (nord)
  • Sicile                     1.333.296 (sud)
  • Campanie             465.553    (sud)

 

L’Etat dépense en moyenne 50 lires pour chaque citoyen du Nord et 15 lires pour un citoyen du Sud.

Pour envoyer 100 kg de marchandise de Naples à Gênes, un transporteur dépense 1.50 lires. En sens inverse, il en dépense 0.85.

 

  • La culture et l’Education AVANT L’UNITÉ

 

Naples vient immédiatement après Paris pour la diffusion des idées illuministes (l’illuminisme italien était issu de la philosophie du siècle des lumières).

Le royaume compte quatre universités, celle de Naples, fondée en 1224. À Milan la première université, l’Ecole Polytechnique, ouvre ses portes en 1863.

Sur 16 millions d’étudiants disséminés sur l’ensemble de la péninsule, 9 millions sont méridionaux.

Les maisons d’édition napolitaines publient 55 % (400 titres) des livres édités en Italie. On compte par dizaines les magazines scientifiques et culturels. Les titres de journaux pour adultes et pour enfants sont une bonne centaine.

En dehors du théâtre San Carlo, on dénombre plusieurs Opéras dans le Royaume, dont quatre en Calabre.

A Naples, tous les soirs, il y a au moins une quinzaine de théâtres ouverts. A Milan, il n’y en a pas un seul ouvert tous les soirs.

 

Dès 1768, Ferdinand IV décide qu’il y doit y avoir une école gratuite dans chaque commune du Royaume.

 

  • La culture et l’éducation APRÈS L’UNITÉ

 

Tout tombe en ruine. Tous les journaux réunis, entre 1861 et 1871, tirent à 400.000 exemplaires pour l’ensemble de la nouvelle nation. Il n’existe pas de kiosques à journaux ; ceux-ci sont vendus par abonnement ou chez les typographes. Pour joindre les deux bouts, les patrons n’ont d’autre choix que de signer des contrats avec le gouvernement pour la publication des nouvelles « officielles ». En échange, on n’a pas le droit de critiquer ledit gouvernement.

Les sommes allouées pour la construction d’écoles atteignent leur maximum dans les Pouilles, région qui va disposer de 5.777 lires pour 100.000 habitants. A la Campanie, on en octroie £. 641, à la Calabre  £. 80. Dans le Nord, les choses changent : le Piémont obtient 13.345 lires et la Lombardie 15.625.

Au Nord toujours, on construit une école pour 141.000 habitants, au Centre une pour 161.000 habitants. Le Sud n’aura droit qu’à une école pour 400.000 habitants.

On ferme toutes les universités, à l’exception de celle de Naples.

 

SITUATION POLITIQUE DES DEUX SICILES AVANT L’UNITÉ

 

En 1861, le roi est François II. Son père Ferdinand II était monté sur le trône en 1830. Homme au caractère bien trempé, ce dernier défend farouchement son indépendance et sa neutralité. La tolérance règne, pas de ghettos dans tout le Royaume. Tout comme ses ancêtres, Ferdinand II n’a jamais eu de visées expansionnistes. Metternich disait de lui : « (…) Il ne supporte aucune ingérence, il est persuadé que son royaume, par sa position géographique, n’a aucun besoin de l’Europe. »

Homme aux vues larges, Ferdinand II est considéré par les libéraux comme le souverain italien le plus ouvert à leurs idéaux. En 1831, lorsque le rêve de l’unité italienne hante nombre d’intellectuels, c’est à lui que l’on propose la couronne d’Italie. Trop fidèle au pape, respectueux de ses alliés, il refuse.

Il disparaît à un moment extrêmement critique : le Piémont se bat contre l’Autriche pour unifier l’Italie, les esprits des patriotes idéalistes s’enflamment et des révoltes éclatent un peu partout, le fils destiné à lui succéder est trop jeune et trop peu belliqueux. Ferdinand est conscient du danger et prononce ces paroles, en napolitain, sur son lit de mort : « Mes ennemis danseront, comme dansent les souris quand le chat est mort ».

François II a vingt-trois ans, il est peu expérimenté, exagérément croyant et très timide. L’écrivain anglo-américain, Harol Acton, écrit de lui : « probablement, François aurait pu gagner la partie si dans son tempérament il y avait eu une veine de cruauté ; mais il restait « le fils de la Sainte », toujours galant, doux, courtois, plein de confiance en la bonté et sincérité d’autrui. C’était un parfait gentilhomme… Malheureusement, dans la partie adverse abondait l’esprit agressif. »

François aussi, après l’annexion des autres Etats italiens, est invité à agrandir son Royaume en envahissant les Marches, territoire de l’Etat Pontifical, ceci avec l’approbation de Napoléon III. Mais le roi, outré, répond à son ministre Filangieri « Que dites-vous là ? On ne touche pas aux choses du Pape ».

Pourtant Pie IX, lorsque le roi lui lance un appel au secours au moment où il est sur le point de perdre son royaume, rétorque : « Pensez Votre Majesté que si vous perdez votre royaume sur terre, il vous restera toujours celui des cieux… ».

 

LES FACTEURS QUI DETERMINENT LA CHUTE DES DEUX SICILES

 

  • Le féodalisme

Avant l’avènement des Bourbons (1734) le Sud de l’Italie est essentiellement un État féodal avec une myriade de barons et prélats qui possèdent 65 % des terres où ils appliquent leur propre juridiction, civile et pénale, indépendante de celle du roi. Vers la fin du XVIII, cette omnipuissance baronniale se heurte à la conception illuministe du pouvoir des rois Bourbons et des conflits sourdent.

 

La Sicile est tout particulièrement hostile à la couronne à cause de la perte de son indépendance (relative) après le Congrès de Vienne. A ce moment-là, Ferdinand I (ex IV) a été également obligé à abolir la constitution accordée à la Sicile en 1812. En réalité, le Parlement est une façon déguisée pour les Barons d’exercer leur pouvoir absolu, puisque les députés sont tous des nobles latifundistes.

En 1840, un auteur de livres de voyages, Frédéric von Raumer, écrit qu’en Sicile, sur une population d’environ 2 millions d’habitants, on dénombre 124 princes, 78 ducs, 130 marquis et une multitude de comtes, dont la plupart n’a jamais vu ses domaines.

 

  • Les opposants au régime

Les libéraux napolitains exilés au Piémont s’allient avec les patriotes du Nord et, le 7 avril 1860, délibèrent à la quasi-unanimité (quatre voix contraires seulement) de l’annexion des Deux Siciles à l’Italie. Ces intellectuels, agacés par l’attachement que le peuple manifeste au roi, commencent à répandre des rumeurs contre leurs propres concitoyens en les taxant de réactionnaires et d’arriérés. Cette rumeur a laissé une tache indélébile dans la mentalité des Italiens.

 

  • La Constitution

Le 29 janvier 1848, Ferdinand II est le premier souverain italien à accorder une Constitution. Mais le 18 avril, au moment des élections, une poignée de députés extrémistes déclare cette constitution insatisfaisante et demande des amendements visant à renverser la monarchie pour proclamer la République.

Ferdinand II tente une conciliation et accepte même la suppression du serment d’allégeance en sa faveur. Mais quelques centaines de rebelles, en grande partie étrangers au Royaume, érigent des barricades et tirent sur les soldats. Le roi réagit et ordonne à son armée de faire cesser la révolte. Il exile ensuite les responsables de la sédition.

La presse se déchaîne alimentée par tous ceux qui souhaitent la chute du royaume. Ferdinand est appelé « Le Tigre bourbonien », « Le Caligula de Naples », et surtout « Le roi bombe ». Ferdinand avait, en effet, ordonné de bombarder Messine pour les raisons ci-dessus évoquées. En revanche, Victor Emmanuel II qui avait causé des milliers de morts à Gênes (1849), à Gaète (186-61), à Palerme (1866), était connu comme « Le Roi Gentilhomme ».

 

  • Les erreurs fatales de François II

Lorsqu’on apprend que Garibaldi se prépare à débarquer en Sicile avec ses mille hommes, François II continue la politique isolationniste de son père sans se soucier de nouer des alliances opportunes.

Le comte de Cavour, lui, en stratège redoutable, œuvre dans la coulisse pour pousser le roi de Naples à prendre de mauvaises décisions. Après avoir chargé le comte de Salmour de convaincre le roi à accorder la constitution, Cavour s’épanche avec ce même Salmour : « Comment un esprit fin comme toi a-t-il pu croire que nous voulons vraiment que le roi de Naples accorde la constitution ! Nous ne voulons que nous approprier ses Etats, et nous le ferons. »

François II tombe dans le piège et signe la Constitution, puis rappelle et amnistie les exilés. Ce geste n’a pour effet que de placer le pouvoir administratif et judiciaire dans les mains d’une minorité libérale qui prône l’unité.

Il nomme préfet de police, et puis Ministre de l’Intérieur, un sinistre personnage, Liborio Romano, lequel promet son plein appui à la cause de l’unité. Le roi n’ayant pas encore quitté Naples, Romano fait coller partout des affiches où on lit des mots pour le moins ambigus : « Les nouvelles institutions promettant et garantissant à notre beau pays un avenir heureux et prospère, ne peuvent s’enraciner correctement ni produire leurs fruits suaves si le peuple ne prouve aux autorités qu’il les a méritées en attendant patiemment les nouvelles lois et le moment de leur application, en respectant l’ordre public, les personnes et les propriétés. » Cet affichage est assorti de mesures policières interdisant tout attroupement et toute clameur susceptibles de créer de l’agitation. Car il y a effectivement beaucoup d’agitation. Le peuple napolitain est décidément contre l’unité.

Liborio Romano libère alors le chef de la pègre napolitaine, un certain Tore ’e Criscienzo, ainsi que ses acolytes, puis en contrepartie il leur demande d’appuyer la révolution. Un mois plus tard, il enrôlera ces caïds dans la police urbaine en les chargeant de faire régner l’ordre public jusqu’à l’arrivée de don Peppino [Gribaldi].

François II quitte Naples et se réfugie à Gaète où le rejoindront quarante mille fidèles. Il veut épargner à Naples la destruction et à son peuple les affres de la guerre.

 

  • Le rôle de la France et de l’Angleterre

Ces deux superpuissances se disputent la maîtrise de la Méditerranée et trouvent gênant ce désir d’indépendance du roi de Naples. Ce dernier ne peut compter que sur deux pays amis : l’Espagne et la Russie, l’une totalement ruinée et l’autre géographiquement lointaine.

     La France – Napoléon III soutient le Piémont, car, ayant déjà occupé l’Algérie (1830) et souhaitant avoir la Méditerranée sous son contrôle, il trouve qu’il est plus facile d’exercer son influence sur un seul Etat plutôt que sur plusieurs petits Etats. En échange de son appui à la guerre d’indépendance que le Piémont mène contre l’Autriche, la France obtient Nice et la Savoie outre le remboursement des frais militaires.

 

     L’Angleterre – jusqu’en 1859 ce pays ne représente pas un danger réel pour les Deux Siciles. Mais, après la construction du canal de Suez, la tactique anglaise change : cette nouvelle voie maritime donnant à la France accès direct à l’Inde pourrait se révéler dangereuse.

Ainsi, comme la France, grâce à son aide aux guerres d’indépendance italiennes, risque d’avoir mainmise sur la partie d’Italie unifiée, l’Angleterre a tout intérêt à surenchérir en subventionnant le Piémont pour annexer les Deux Siciles, d’autant plus que le roi de Naples refuse de signer avec elle un pacte d’alliance (ou plutôt d’allégeance) en bonne et due forme.

Alors, sous le couvert d’un idéal libéral, l’Angleterre met la main à la pâte de l’unité italienne.

De plus, un incident diplomatique d’une vingtaine d’année auparavant sert, entre autres, de prétexte pour affranchir l’Angleterre de tout éventuel scrupule. En 1836, Ferdinand II en vertu d’une loi internationale qui légitimait les ruptures de contrats entre pays, rompt un contrat très désavantageux, signé en 1816, par lequel l’Angleterre avait le monopole sur tout le soufre extrait en Sicile. Il en signe un autre beaucoup plus intéressant avec la France.  L’Angleterre envoie des navires de guerre. Le roi de Naples lui rend la pareille. Une guerre est sur le point d’être déclarée. Louis Philippe joue les médiateurs. Ferdinand paye les pots cassés (indemnités aux deux pays lésés) et les choses redeviennent comme auparavant.

Quoiqu’il en soit, l’Angleterre mise tout sur l’unité et gagnera son pari. Lors de son voyage en Angleterre, en 1864, Garibaldi déclarera : « sans l’aide de Palmerston, Naples serait encore aux Bourbons, et sans l’amiral Mundy je n’aurais jamais pu passer le Détroit de Messine. ».

Les journaux anglais déclenchent une campagne propagandiste contre le Royaume des Deux Siciles. Une propagande dont les effets se font sentir encore de nos jours. Dans le Times, par exemple, paraît un article où on accuse François II de bigoterie et cruauté : « Les malheureux Napolitains sont passés de Tibère à Caligula », affirme le rédacteur du papier.

Le ministre des finances Gladstone fait publier des lettres qu’il a écrites au ministre des Affaires Etrangères, Lord Aberdeen, dans lesquelles il dénigre les prisons du Sud en les traitant de « négation de Dieu ». Plus tard, Gladstone avouera qu’il n’avait jamais mis les pieds dans une prison du royaume et qu’il avait cru sur parole les révolutionnaires italiens. Il ajoutera qu’il avait agi par ordre du premier ministre Palmerston. En fait, les conditions carcérales dans les Deux Siciles n’étaient en aucun cas pires que celles des autres Etats européens.

 

  • Le Piémont

Alors que cet Etat est officiellement en paix avec les Deux Siciles, le ministre de Victor Emmannuel, Camillo Benso comte de Cavour, le 18 avril 1860, envoie deux navires de guerre en Sicile sous prétexte de protéger les Piémontais résidant sur l’île. Mais le 3 mai, à Modène, en présence de ses services secrets, il signe un acte notarié stipulant l’achat de deux bateaux, le Piemonte et le Lombardo. Le bénéficiaire, spécifie l’acte, est Giuseppe Garibaldi.

C’est donc avec ces deux bateaux achetés par le Piémont que le « héros des deux mondes et ses mille patriotes » quittent Quarto (près de Gênes), le 6 mai 1860, et font voile en direction de la Sicile. Or, d’après l’historiographie officielle, les Garibaldiens auraient héroïquement défié la mort pour voler ces deux navires.

Cavour poursuit l’accomplissement de son plan en réunissant deux millions de Francs en or pour financer l’expédition des Mille. Trois autres millions (env. 25 millions d’€) sont généreusement « offerts» par les loges maçonniques anglaises, américaines et canadiennes.

Entre-temps, Cavour déclare officiellement qu’il est étranger aux « méfaits de ces flibustiers garibaldiens ».

 

  • Les trahisons

A l’ingérence étrangère, aux complots des exilés révolutionnaires napolitains, à la faiblesse du roi, on doit ajouter la trahison des commandants de l’armée bourbonienne. Ces derniers, rappelons-le, appartiennent presque tous à des familles de latifundistes qui, nous l’avons vu, ont tout intérêt à se débarrasser du roi de Naples. Sans ces traîtres, comment mille hommes auraient-ils pu défier une armée de 25.000 soldats parfaitement armés et entraînés qui tenaient garnison en Sicile ? Sans compter les 75.000 autres qui étaient censés défendre la partie continentale du royaume.

Dans ses mémoires, Garibaldi rend hommage à la Marine bourbonienne : « grâce à la collaboration tacite de la Marine Bourbonienne, la marche vers Naples ne fut pas entravée, et le débarquement en Calabre n’aurait jamais pu se faire avec une marine complètement hostile… »

L’homme politique et écrivain piémontais, Massimo d’Azeglio, écrit à un Officier de la marine piémontaise (Carlo Pollion de Persano): « Ce que je ne comprendrai jamais (sauf aide anglaise ou trahison des commandants napolitains) c’est comment le Roi, avec vingt-quatre frégates à vapeur, n’ait pas pu surveiller trois-quatre cents miles de côte. La surveillance a été faite avec des bateaux non appropriés et de façon discontinue… »

 

Le député napolitain unitariste Giuseppe Ricciardi déclare (acte N. 140 du 20/05/1860) : « Dès mon retour à Naples après mon exil… j’ai commencé ma propagande dans les casernes auprès des officiers, au risque d’être fusillé… les officiers répondaient : « Nous serions prêts mais nos soldats sont tellement fanatiques [du roi] qu’ils nous fusilleraient» …  Mais croyez-vous vraiment que sans le travail secret de ces officiers, sans notre propre travail, Garibaldi aurait pu arriver à Naples, une ville d’un demi-million d’habitants, avec quatre châteaux-forts remplis de troupes ? Il n’a fait son entrée à Naples que grâce à nous autres libéraux qui, avec un bon nombre d’officiers, lui en avons ouvert les portes. »

 

En effet, l’arrivée de Garibaldi n’était qu’un secret de Polichinelle. Tout le monde était au courant, mais, bizarrement, deux frégates bourboniennes, (l’une avec soixante canons et l’autre avec deux) ne repèrent pas les deux bateaux de Garibaldi.

 

A la trahison des commandants, vient s’ajouter celle des barons latifundistes siciliens. Ces derniers ont à leur solde des « picciotti » (futurs mafieux) chargés d’arracher le « consentement » du peuple. Les propriétaires terriens du continent les rejoignent. Les révolutionnaires, en effet, leur promettent de leur vendre à bas prix les terres domaniales, ainsi que celles de l’Eglise, qu’ils confisqueraient dès leur arrivée au pouvoir.

Garibaldi parvient aussi à mettre de son côté les paysans à qui il promet aussi des terres, une promesse qui ne fut jamais tenue (voir ci-dessus).

 

CES HÉROS QUI FIRENT L’UNITÉ

 

Après l’unité d’Italie, commence la mythisation des acteurs principaux de l’Italie unifiée. Encore aujourd’hui, on fait croire aux écoliers que Cavour, Mazzini, le roi Victor Emmanuel et Garibaldi étaient animés par un esprit patriotique exemplaire, qu’ils œuvraient au prix de leur vie pour le bien du peuple italien.

En fait, une analyse quelque soit peu attentive des documents d’archive montre que ces hommes, mus chacun par des idéaux différents, étaient loin d’être les héros que l’on décrit et qu’en plus ils se détestaient cordialement.

Cavour appelle Mazzini « conspirateur infâme et chef authentique d’une bande d’assassins » et le traite de lâche en déclarant : « Ce qui manque à Mazzini, c’est le courage moral, l’intrépidité devant le danger, le mépris de la mort… ».

Mazzini réplique « Je savais depuis longtemps que vous aviez un faible pour la monarchie piémontaise et aucune envie d’une patrie commune ; vous êtes un adorateur matérialiste des faits et non des saints principes éternels… pour cela, si auparavant je ne vous aimais point, maintenant je vous méprise. »

Garibaldi de son côté insiste auprès de Victor Emmanuel pour que Cavour soit liquidé. Ce dernier claironne sa méfiance à l’égard de Garibaldi et crie haut et fort : « Garibaldi est mon pire ennemi ».

Une fois l’unité accomplie, Victor Emmanuel, lui, écrit à Cavour : « Comme vous avez bien pu le remarquer, j’ai liquidé la très déplaisante affaire Garibaldi… son talent militaire est très modeste : l’affaire de Capoue le prouve bien, sans compter le mal immense qui a été commis ici [dans le Sud], par exemple, le pillage infâme de tout le trésor public qui ne doit être attribué qu’à lui. Cet homme s’est entouré de canailles, il en a suivi les mauvais conseils et a plongé ce malheureux pays dans une situation épouvantable. »

Avant l’arrivée de Garibaldi à Naples, Cavour essaye, sans succès, de soulever la ville contre le Roi pour obliger celui-ci à abdiquer. Garibaldi aurait ainsi trouvé une capitale « spontanément » révoltée contre son souverain, et il aurait perdu le contrôle des opérations.

Les célèbres « Mille » que les livres d’histoire dépeignent comme des jeunes révolutionnaires idéalistes, sont en réalité des vétérans de campagnes militaires précédentes et qui plus est, l’immense majorité d’entre eux était composée de mercenaires étrangers (anglais, hongrois, polonais, turcs et allemands).

Garibaldi en personne n’hésite pas à déclarer dans un discours au Parlement de Turin (5/12/1861) : « Tous [les Mille] généralement de très mauvaise origine, presque tous des voleurs et, sauf quelques rares exceptions, aux racines généalogiques plongées dans le fumier de la violence et du délit. » En somme, de la « racaille » comme dirait le président français actuel.

 

LA CHUTE DES DEUX SICILES

 

  • Le pillage de Naples et la corruption

Garibaldi fait son entrée à Naples le 7 septembre 1860. Il y reste soixante-et-un jours en qualité de dictateur. On pille le palais royal. Les objets les plus précieux sont envoyés à Turin, le reste est vendu aux enchères.

Le 11 septembre la totalité de l’or appartenant aux caisses de l’Etat (l’équivalent de 1.670 millions d’€), ainsi que les biens personnels du Souverain (l’équivalent de 150 millions d’€), que celui-ci avait laissé dans sa capitale, sont confisqués et déclarés « patrimoine national ».

Pour garder en respect l’armée, on a recours à une forme sournoise de corruption : on distribue des grades à tout va. Le rapport officiers/soldats qui est normalement de 1/20, passe à 1/4. L’argent gaspillé coule à flots, huit cents commandants dûment salariés restent chez eux par manque de soldats à commander.

La corruption atteint son sommet. Le député sicilien unitariste La Farina écrit à Carlo Pisano (12/01/1861) : « (…) Emplois triples et quadruples de ceux que demanderait l’administration… cumul de quatre ou cinq emplois en une seule personne… de hautes charges à des mineurs… des pensions sans titre aux femmes, sœurs, belles-sœurs de soi-disant patriotes. » Dans une autre lettre à son ami Ausonio Franchi, La Farina déplore d’autres abus « Des voleurs, des évadés des prisons, des pilleurs et des assassins, amnistiés par Garibaldi, pensionnés par Crispi et Mordini, sont introduits dans la sûreté, dans la police de frontière et même dans les ministères… »

Et dire qu’on nous apprend à l’école que le gouvernement des Bourbons était corrompu et la bureaucratie épouvantable.

 

  • Le Plébiscite

Le 11 octobre 1861, dix jours avant le référendum, le Parlement piémontais décrète l’annexion des Deux Siciles. Le 16 du même mois, la décision passe au vote du Sénat. Une voix se lève, celle du Sénateur Brignole Sale qui s’écrie : « Ce royaume-là appartient à un prince indépendant qui est encore à sa place, qui avec un groupe de soldats fidèles résiste aux hordes révolutionnaires. N’étions-nous pas en paix avec lui ? N’avait-il pas chez nous son Ministre ? Notre Ministre n’était-il pas chez lui ? (…) Pourquoi donc le combattre et appuyer une révolution que nous avons il y a peu désapprouvée ? Quelle raison évoquerons-nous pour justifier un tel crime ? Je proteste haut et fort au nom des grands principes sur lesquels l’ordre social repose. »

Le Sénat approuve néanmoins l’annexion.

Mazzini,  opposé à cette annexion qu’il n’a jamais souhaitée, accourt à Naples pour éviter le pire, mais en vain. On l’empêche d’agir.

Voyons à présent comment s’est déroulé ce fameux plébiscite par lequel le peuple du Sud aurait voté OUI à 90% !

Tout premièrement les conditions requises pour voter sont très discriminatoires : seuls les hommes de 25 ans peuvent s’exprimer, et ils doivent en outre démontrer qu’ils payent 40 lires de taxes par an (env. 3800 €, une somme très élevée pour l’époque, compte tenu aussi du taux très bas d’imposition dans les Deux Siciles). De plus, ils doivent savoir lire et écrire, alors que le taux d’alphabétisation est de 10% !

En résumé, seulement 200.000 électeurs sur 9 millions d’habitants s’exprimeront.

Les 40.000 soldats partis à Gaète avec leur roi ne voteront pas.

Par contre, les étrangers enrôlés par Garibaldi votent, alors qu’ils ne sont même pas citoyens italiens.

A cela il faut ajouter la manière dont ces élections sont organisées : A Naples, le bureau de vote est installé sur une très haute estrade dans la place qui s’appelle aujourd’hui « Place du Plébiscite » et où se trouve le palais royal.

L’électeur est obligé donc de monter un très haut escalier au vu et au su de tous et cela est très intimidant, puis de donner son certificat électoral indiquant toutes ses données personnelles. A chaque extrémités  de l’estrade deux urnes, l’une marquée d’un OUI et l’autre d’un NON ; au milieu, celle où l’on doit glisser son bulletin. Les bulletins sont de couleur différente, rose pour le OUI, blanc pour le NON. L’électeur ne bénéficie donc pas du secret de vote.

L’historien anglais, spécialiste du Risorgimento, Denis Mack Smith, affirme : « en consultant les archives des petites communes, de la Sicile à la Toscane, j’ai découvert des éléments très curieux concernant les différents plébiscites pour l’annexion à l’Italie. Dans certains endroits, le pourcentage des OUI s’élevait à 120%. »

L’amiral anglais Mundy, ami de Garibaldi, qui s’était évertué à unifier l’Italie, déclare : « A mon avis, un référendum réglé par de telles modalités ne peut pas être considéré comme la manifestation du sentiment réel d’un pays

 

Le colonel piémontais Massimo d’Azeglio, ex-ministre des Savoie écrit dans une lettre adressée au Député Matteucci (2/08/1861) : « Je peux comprendre que les Italiens aient le droit de se battre contre ceux qui voudraient garder les Autrichiens en Italie, mais nous n’avons pas le droit de tirer sur des Italiens qui, tout en restant Italiens, ne souhaitent pas s’unir à nous. »

Les exactions sont si flagrantes que l’Autriche, la France, la Prusse et la Russie condamnent les agissements du Piémont et retirent leurs ambassadeurs. L’Angleterre, elle, reste neutre.

Le siège de Gaète est tellement impitoyable qu’il soulève l’indignation de l’opinion publique, émue surtout par le comportement exemplaire de la Reine Marie Sophie qui, malgré son extrême jeunesse (elle n’a que dix-neuf ans), faisant fi des bombes et des coups de canon, vole jour et nuit au secours des blessés. Chroniqueurs et hommes de lettres, tels que Proust, Daudet, D’Annunzio… s’intéressent à elle. Des journaux du monde entiers lui consacrent poèmes et articles.

 

  • Les souverains

François II se réfugie près de Rome. Napoléon III essaye de le convaincre à se rendre en France où il met un château à sa disposition. Il lui promet également de l’aider à récupérer ses biens.

Le roi de Naples refuse et répond : « Je suis un prince italien illégalement dépouillé et privé du trône. La seule maison qui me reste est ici, ici je suis dans un lambeau de ma patrie, ici je me trouve près de mon royaume et de mes sujets… on appelle assassins et brigands ces malheureux qui défendent d’une lutte inégale l’indépendance le leur patrie… Pris de cette façon, je suis moi aussi un brigand et j’en suis fier… en ce qui est de ma fortune confisquée… quand on perd un trône, peu importe de perdre une fortune…Je serai pauvre comme tant d’autres qui sont meilleurs que moi et, à mes yeux, la dignité a beaucoup plus de valeur que la richesse. »

 

  • Les prisonniers

Après la chute de Gaète, les prisonniers napolitains sont déportés en Piémont. Nombre d’entre eux sont enfermés dans la forteresse de Fenestrelle, située sur le Mont Orsiera, à 2863 m de hauteur, un endroit où il peut neiger même en juin. Pour empirer la situation des reclus, relate Lorenzo del Boca, essayiste piémontais, spécialiste du Risorgimento –  on casse les vitres et on démolit les portes en les remplaçant par des barreaux. Dans ces conditions, précise del Boca, les prisonniers survivent rarement au-delà de trois mois ; pour des raisons d’hygiène on jette les corps dans de la chaux vive.

Dans la revue des Jésuites, on lit à ce propos : « En Italie, il y a une vraie traite des Napolitains. [le Général] Cialdini les arrête en grande quantité, les entasse dans des bateaux pire que s’ils étaient du bétail, et les envoie à Gênes… on voit arriver des bâtiments chargés de ces malheureux, en haillons, affamés, en larmes… On les débarque et on les fait se coucher sur la place publiques comme de la marchandise à étaler sur un marché. Ce spectacle douloureux se répète chaque jour rue Assarotti où se trouve un dépôt de ces malchanceux… » (La Civiltà Cattolica, vol. XI, serie IV, pag. 752)

Lorsque la dernière forteresse, à la frontière entre les deux Siciles et l’Etat Pontifical, tombe aux mains des Piémontais, les combattants captifs ne seront plus considérés comme prisonniers de guerre, ce qui empirera leur situation.

 

L’INSURRECTION

 

La révolte armée ou passive est une conséquence logique de cette annexion forcée. Les paysans floués par les promesses non tenues de Garibaldi et dépossédés même de leurs avantages antécédents, entreprennent une guérilla qui durera onze ans.

Ces résistants sont appelés « brigands », un qualificatif infamant qui nie à la résistance son sens politique pour la réduire à l’état d’agissements criminels. Pourtant, l’insurrection touche toutes les couches sociales, même les prélats. Les évêques sont privés de leur charge, les prêtres tués. En effet, le chef des forces de répression, le commandant Enrico Cialdini est obligé d’aller dormir sur une de ses frégates, car, affirme-t-il : « Notre Gouvernement dans ces provinces est extrêmement faible…il n’a d’autres partisans que nos mêmes bataillons sur place »

La répression est implacable et d’une violence sans égale.

Cinquante-et-un villages sont détruits dont certains ne seront jamais reconstruits. L’immense majorité des documents d’archive ayant été détruite, on ne peut pas avoir une idée précise du nombre de morts, mais on l’estime à un minimum de 20.075 jusqu’à un maximum de 73.875.

En juillet 1861, toujours le chef des forces de répression, Cialdini, donne à ses troupes l’ordre suivant : «  ne faire usage d’aucune miséricorde, tuer tous ceux qui vous tombent dans les mains ». Le comble de l’ignominie est que dans presque tous les villes et villages du Sud, on trouve aujourd’hui des « rue Cialdini » !

Victor Emmanuel, lui, est tellement impressionné par la véhémence de ces « brigands » qu’en août 1862, il déclare l’état de siège. Ainsi, dans le Sud, l’autorité militaire détient plus de pouvoirs que l’autorité civile. On institue huit tribunaux militaires spéciaux.

Certaines condamnations tournent à la farce : un certain Augusto Iatosti, agriculteur de son état, est accusé de lèse Majesté, car : « il aurait distribué cinq granes (0.80 €) à des paysans pour qu’ils crient « Vive François II », et il aurait donné à deux chiens de sa propriété les noms de Garibaldi et Victor Emmanuel. »

Antonio Gramsci (un des fondateur du PCI) résume parfaitement ce crime lorsqu’il écrit : « l’Etat italien a été une dictature féroce qui a porté le fer et le feu dans l’Italie méridionale, en écartelant, en fusillant, en enterrant vivants les paysans pauvres que des écrivains soudoyés tentèrent de salir en leur imprimant sur le front la marque infamante de brigand. »

Le député libéral Ferrari s’exclame lors d’une séance parlementaire en novembre 1862 « Vous pouvez les appeler brigands autant que vous voudrez, mais ces gens combattent sous leur drapeau national : les pères de ces brigands ont ramené par deux fois les Bourbons dans leur capitale… »

La résistance échoue par manque d’argent (François II avait été dépouillé de tous ses biens), mais aussi par le refus des insurgés de se soumettre à une autorité militaire dont ils se méfient. Ainsi désorganisés et mal armés, ces hommes et femmes sont peu à peu anéantis.

La propagande contre ces « brigands » fut aussi impitoyable que la répression de facto. Les journaux multiplient les faux reportages contenant des photographies maquillées et des témoignages mensongers : on écrit que ces hors-la-loi dévorent le foie et le cœur de leurs victimes et boivent dans leur crâne.

Cette réputation de sauvagerie et d’incivilité déteint peu à peu sur toute la population du Sud. Le premier criminologue positiviste, Cesare Lombroso, mesure les crânes des brigands tués, afin de démontrer que les Méridionaux ont une tendance génétique à la criminalité.

Trente-cinq ans après l’unité, le sociologue Alfredo Niceforo, dans son ouvrage « L’Italie barbare contemporaine », écrit entre autre : « [le Sud] est une grande colonie à civiliser … il faut atteindre deux objectifs principaux : combattre son régionalisme orgueilleux et myope ; renforcer le culte de l’unité en imposant le dogme du nivèlement de toutes les régions sur un seul et unique modèle administratif au moyen d’une gestion autoritaire au Sud et libérale au Nord… »

     Les protestations des hommes politiques modérés et des pays étrangers retentissent dans tous les pays d’Europe, même ceux qui avaient eu leur part de responsabilité dans cette affaire.

Le Ministre Giovanni Nicotera, un révolutionnaire calabrais qui avait pourtant été emprisonné par les Bourbons, s’exclame : « Le gouvernement Bourbonien avait au moins le mérite de préserver nos vies et nos biens, un mérite dont ce gouvernement ne peut pas se vanter. Les exactions auxquelles nous assistons peuvent être comparées à celles de Tamerlan, Gengis Khan et Attila. »

En Angleterre, à la Chambres des Lords, le premier Ministre Benjamin Disraeli, déclare à propos de la révolution en cours en Pologne : « J’aimerais savoir au nom de quel principe nous discutons de la situation en Pologne et il ne nous est pas permis de nous prononcer sur celle du Sud de l’Italie. Il est vrai que les insurgés dans l’Italie du Sud sont appelés brigands et les Polonais patriotes, mais ces qualificatifs mis à part, je n’ai rien appris dans ce débat sur la différence entre ces deux mouvements ».

Napoléon III écrit au Général Fleury : « j’ai notifié mes remontrances à Turin. Non seulement la misère et l’anarchie sont à leur comble, mais les actes les plus coupables et indignes sont considérés comme des expédients normaux : un général, dont j’ai oublié le nom, ayant interdit aux paysans d’apporter avec eux de la nourriture lorsqu’ils vont travailler dans les champs, a décrété que l’on fusille tous ceux qui sont surpris en possession d’un morceau de pain. Les Bourbons n’ont jamais fait de pareilles choses. »

 

Malgré ces protestations, on entasse dans les prisons jusqu’à quarante mille prisonniers politiques gardés dans des conditions abominables. Le Député Ricciardi dénonce l’état de ces détenus qui « demi-nus moisissent rongés par les vers ». Il ajoute qu’un grand nombre d’entre eux ne sont même pas interrogés, alors qu’ils ont été enfermés depuis vingt-deux mois. Et que « Le pain qu’on donne aux incarcérés est tel que je ne le souhaiterais même pas au comte Ugolin. »

 

Toujours à la Chambre des Lords, Lord Henry Lennox, de retour d’un voyage dans L’Italie du Sud, fait son mea culpa au nom de l’Angleterre en ces termes : « Ce qu’on appelle unité italienne doit principalement son existence à l’aide morale et à la protection de l’Angleterre – beaucoup plus qu’à Garibaldi – et c’est au nom de l’Angleterre que je dénonce de telles atrocités barbares, et que je proteste contre l’égide de l’Angleterre libre qui s’est ainsi prostituée. La description de l’attitude et des conditions des torturés dans l’Enfer de Dante donnerait une idée très exacte de la scène à laquelle j’ai assisté dans ces prisons : la puanteur était horrible… la nourriture si épouvantable qu’en Angleterre, on n’oserait pas la donner aux bêtes. J’ai jeté par terre un morceau du pain qu’on distribuait à ces malheureux, je l’ai piétiné, mais il était si dur que je n’ai pas réussi à le rompre. »

 

CE QU’EN PENSAIENT LES REVOLUTIONNAIRES MERIDIONAUX

 

Les députés méridionaux appelés à faire partie du Parlement sis à Turin sont philopiémontais. La plupart d’entre eux, ne souhaitant pas compromettre le maintien de leur charge, ferment leurs deux yeux devant l’anéantissement économique et civil du Sud. Et ce comportement persiste de nos jours.

Un petit nombre des ces unitaristes qui avaient provoqué la perte de leur patrie font entendre leur voix. Je cite certains d’entre eux.

Le Député sicilien Bruno (séance parlementaire du 21/04/1861, acte N. 53) : « la Sicile sous les Bourbons offrait pendant des décennies un spectacle exemplaire, en ce sens qu’il n’y avait pas de vols, et on pouvait se promener dans toutes les rues, à toutes les heures, sans danger d’être agressés ou détroussés

Le Député apulien Valenti (séance du 3/04/1861, acte N. 234) : « Sous les Bourbons, nous payions moins d’impôts. Les Bourbons entretenaient une armée de cent vingt mille hommes… Ils avaient des dépôts dans toutes les banques étrangères, ils accordaient de riches allocations familiales et pourtant les caisses de l’Etat étaient pleines… »

Le napolitain G. Ricciardi (04/12/1861, acte N. 340) : « Comment est-il possible qu’un pays aux finances florissantes, dont la cote était montée à 118, est aujourd’hui réduit en des conditions aussi misérables ? »

Le napolitain Proto, duc de Maddaloni, va jusqu’à proposer la séparation de l’ex Deux Siciles. Il est obligé de démissionner pour avoir refusé de retirer les propos suivants (20/11/1864, acte N. 234) : «Des familles entières sont obligées de mendier ; le commerce  diminué, voire anéanti; les fabriques privées fermées. Entre-temps, on fait tout venir du Piémont, jusqu’aux boites-à-lettres, le papier pour les bureaux et les administrations publiques. Même pour construire les chemins de fer on embauche des ouvriers piémontais qui se font outrageusement payer le double des Napolitains. Les porteurs, les douaniers, les serveurs des cafés, sont tous piémontais. On appelle cela invasion et non annexion ! Le Gouvernement du Piémont veut traiter les provinces méridionales comme Cortez et Pizarro ont fait avec le Pérou et le Mexique, comme les Anglais avec le Bengale. »

Dans cette même séance, l’apulien G. Pisanelli : « Il n’y a plus une seule institution publique, université, administration, un seul collège ou couvent, etc., etc., à Naples, qui n’ait pas été fermé, et ceci pour l’unique raison qu’ils ne sont pas gérés par des règlements piémontais. »

Pour terminer, voici les extraits de deux lettres rédigées par l’historien et écrivain Giustino Fortunato, lui aussi unitariste lucide, (à Pasquale Villari, le 02/09/1899 : « l’unité d’Italie a été et sera – ma foi en elle étant indéfectible – notre rédemption morale. Mais l’unité a été malheureusement notre ruine économique. Nous étions, en 1860, en des conditions florissantes et propices à un essor économique, sain et favorable. L’unité nous a perdus. Et comme si cela ne suffisait pas, il est incontestable, contrairement à ce qu’on pense, que l’Etat italien est beaucoup plus généreux avec les provinces du Nord qu’avec celles du Sud. Ma vision pessimiste est  complète. »

Puis dans une lettre à G Salvemini en 1923 : « Je ne renie pas mon unitarisme. J’ai simplement modifié mon jugement sur les industriels du Nord. Ce sont des fumiers, plus fumiers que les pires fumiers de notre pays. » Salvemini, de son côté lui avait écrit : «Si le Mezzogiorno a été ruiné par l’unité, Naples a été franchement assassiné… Cette ville est tombée dans une crise qui a privé de pain des milliers et des milliers de gens. »

 

Les Napolitains, eux, se plaignent en composant des chansons protestataires. Cicérénelle en est un très bel exemple, en voici un couplet :

 

Il était un très beau royaume

Malchanceux comme une putain

Avec sa mer et ses étoiles

Nulle terre n’est aussi belle

Que celle de Cicérénelle

 

Quelques données éclairantes

(Tirées de « Il Sud e l’Unità de Giuseppe Ressa, consultable dans le site http://www.ilportaledelsud.org)

 

 

Impôts directs dans les Deux Siciles (en or de ducat)

 

  1. Foncier                                                       6.150.000
  2. additionnel pour dette publique                  615.000
  3. additionnel pour les Provinces                   307.500

Exactions                                                      282.900

Total                                                              7.355.400

 

Taxe indirectes avant l’unité 

  • Taxes douanières et monopoles
  • Timbres fiscaux pour enregistrements.
  • Timbres postaux.
  • Impôt sur les Loteries.

 

Impositions fiscales dans le Sud immédiatement après la conquête piémontaise

  • Impôt personnel
  • Taxe de succession
  • Taxe sur les donations, crédits et dots; sur l’émancipation et adoption
  • Taxe sur les pensions
  • Taxe sanitaire
  • Taxe sur les fabriques
  • Taxe sur l’industrie
  • Taxe sur les sociétés industrielles
  • Taxe sur poids et mesures
  • Droit d’insinuation
  • Droit d’exportation sur la paille, foin, et avoine
  • Sur la consommation de viande, des peaux, eau-de-vie et bière
  • Taxe sur la mainmorte
  • Taxe sur la chasse
  • Taxe sur les voitures
  • 1860: comparaison de la dette publique (en millions de lires de l’époque)
NAPOLI PIEMONTE
dette publique consolidée 441,225 1.271,43
Intérêts annuels 25,181 75,474
  • Réserve d’or à garantie de la monnaie en circulation des anciens États italiens au moment des annexions (en lires de l’époque)
Deux Siciles 4 4 3, 2
Lombardia 8,1
Ducat de Modène 0,4
Parme et Piacenza 1,2
Rome (1870) 35,3
Romagne, Marches et Ombrie 55,3
Piémont 27
Toscane 85,2
Venise (1866) 12,7
TOTALE 6 7 0, 4

Merci à Jean-Noël Schifano, écrivain et citoyen honoraire de la ville de Naples, qui a contribué à m’ouvrir les yeux et à me donner la fierté d’être une Napoli en France.

A lire son dernier livre “Le vent noir ne sait pas où il va” chez Fayard (2010).

 

Maria FRANCHINI ©

fonte

http://www.sgdl-auteurs.org

L’évêque de Nocera Inferiore à l’inauguration du tunnel du Pas de l’Orco (Codola, 1858), premier tunnel ferroviaire du monde.

L’évêque de Nocera Inferiore à l’inauguration du tunnel du Pas de l’Orco (Codola, 1858), premier tunnel ferroviaire du monde.

 

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