Le Parfum de Pâques à Naples et Son Altesse la pastiera
Oh les beaux jours !! (article publié l’an dernier pour Pâques).
A Naples, la modernité a balayé les fastueuses célébrations pascales d’antan: finies les processions spectaculaires, réduites à l’essentiel les grandes mises en scène du Jeudi Saint dans les églises (parfois assez lugubres), et l’idée de faire le « struscio » ne traverse plus l’esprit de personne depuis une bonne soixantaine d’années. Ce mot napolitain (inexistant en italien), qui se traduit par « frôlage », désigne la pratique de la foule de promeneurs qui le soir du Jeudi Saint – parés de leur élégante toilette printanière rigoureusement neuve, se « strusciavano », se frôlaient les uns aux autres en arpentant la rue Toledo du haut en bas, sous prétexte de visiter les « Sepolcri ».
Par « Sepolcri » (littéralement « sépulcres »), on entend les espaces aménagés dans chaque église où, après avoir recouvert toutes les images sacrées d’un drap noir et violet, l’on reproduit symboliquement la Passion, la Mort et La Résurrection du Christ.
Cela dit, les Napolitains restent attachés à certaines traditions. Car l’ambiance est au rendez-vous dans les rues où l’on échange les vœux, dans les églises plus fréquentées que d’habitude, et surtout dans les boutiques d’alimentation, le repas pascal étant toujours composé de nourriture, jadis rituelle, qui doit rappeler la résurrection et le réveil de la nature : les fromages frais, les maints légumes de saison et les œufs bien sûr, qui incarnent la vie qui va naître (comme dans beaucoup de religions d’ailleurs). Ils sont nombreux dans la préparation des gâteaux de Pâques : ils trônent emprisonnées par des lamelles de pâte, sur le casatiello, une brioche salée farcie de cubes de provola et saucisson sec, et ils se la jouent en protagonistes dans les vitrines des pâtissiers, qui déchaînent leur imagination pour créer de véritables chefs-d’œuvre. Certains peuvent atteindre la démesure comme celui créé en 2017 par le célèbre chocolatier Gay Odin qui exposa une pièce de 300 kg!
Mais LA spécialité incontournable dont aucune famille riche ou pauvre ne saurait se passer, est Son Altesse la pastiera. Un délice qui renferme tous les symboles printaniers : la ricotta de brebis, le blé, les œufs en grand nombre, du zeste de citron, et la fleur d’oranger qui embaume les rues, les maisons, les cours des immeubles. Les plus doués ne se limitent pas à n’en préparer qu’une seule, mais ils passent la journée à en enfourner cinq ou six, qu’ils distribueront à leurs voisins, amis, parents… Parfois on ne donne que des quartiers pour en recevoir d’autres à son tour.
Car, ne vous y trompez pas, il n’y a pas une seule pastiera qui ressemble à une autre pastiera ! Une larme de fleur d’oranger en plus ou en moins, un zeste de vanille ou de cannelle, une crème pâtissière que l’on rajoute à la préparation, le blé cuit plus ou moins et… le goût ne sera pas le même, tout en étant toujours une pastiera que l’on ne pourra jamais confondre avec aucune autre pâtisserie.
C’est un gâteau dont les auteurs parlent depuis quatre ou cinq siècles et dont les origines se perdent dans le passé millénaire de ce monde appelé Naples. Des légendes on en raconte beaucoup autour de la pastiera, la plus poétique étant sans doute celle de la sirène fondatrice de la cité : Parthénope, dit-on, émergeait des eaux au printemps pour chanter à l’intention de ses enfants, les Parthénopéens. Et eux, reconnaissants, chargèrent sept vierges de lui offrir les meilleurs produits de la terre et du règne animal : des œufs, du fromage, du blé et du miel, symbole de la douceur du chant. La sirène les emporta au fond de la mer et là, leur ordonna de s’assembler pour composer un gâteau sacré, qu’elle déposa sur la plage pour remercier son peuple. La pastiera était née. (Voir la recette plus bas)
Des siècles et des siècles plus tard, une souveraine, appelée « la reine qui ne sourit jamais » (Marie Thérèse d’Autriche, épouse de Ferdinand II de Bourbon), esquissa un sourire dès que le roi lui fit goûter ce gâteau divin.
Mais voilà, trop de bonté, trop de succès auprès des touristes ont amené les commerçants à proposer la pastiera presque toute l’année, même si en moindre mesure. Ce qui est une hérésie pour les amoureux des belles traditions comme moi. Personnellement, on ne m’en fera pas goûter une seule miette hors période consacrée !
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Si à Naples, les rites religieux populaires se sont estompés, ce n’est pas le cas dans les autres villes de la région. On peut assister aux célébrations les plus spectaculaires à Sessa Aurunca, lesquelles se déroulent du lundi au samedi et qui n’ont rien à envier à l’Andalousie. Maddaloni, elle, est la seule ville où ne défilent que des femmes endeuillées, portant même les statues. Elles sont suivies par des centaines d’enfants. Le cortège est formé de 350 participants et 200 choristes. Le lundi de Pâques, à Sant’Anastasia, plus de 450.000 fidèles se rendent au sanctuaire de la Madonna dell’Arco, pour attendre ou suivre les « fujenti » (les fuyants), des pénitents vêtus de blanc, qui portent sur leurs épaules en courant de lourds autels (les toselli) depuis leur ville d’origine (ils arrivent de tous les environs de Naples) [voir article ICI].
Le dimanche suivant Pâques, à Pagani, la procession de la Madonna delle galline (la Madone des poules) est pour le moins surprenante : des milliers de fidèles suivent la statue de la Vierge entourée d’oiseaux vivants. (J’ai décrit ces rites dans mon livre « Campanie insolite et secrète », ed. Thomas Jonglez).
Maria Franchini
La recette de la pastiera
Ingrédients (pour 2 grands moules à tartes):
1 kg de pâte sablée
500 g de ricotta de brebis
400 g de blé précuit
400 g de sucre
1 citron
150 g de fruits confit mélangés
250 cl de lait environ
30 g de saindoux (ou de beurre)
4 œufs entiers et 2 jaunes
1 sachet de vanille
2 cuillers à soupe d’extrait de fleur d’oranger
NB: la ricotta doit être de très bonne qualité, sous peine de dénaturer ce gâteau. La meilleure est celle de lait de brebis. Celle vendue dans les supermarchés est d’une qualité exécrable. Le seul fromage français qui pourrait la remplacer est la Brousse ou le Brocciu. (A Naples on vend des moules ressemblant aux moules à tarte très légers en aluminium, car généralement, on ne démoule pas la pastiera).
La veille faire cuire le blé comme indiqué sur le paquet (on trouve du blé précuit dans les magasins bio).
Faire cuire à feu doux le blé égoutté (déjà cuit, voir ci-dessus) en le couvrant de lait et en y ajoutant le saindoux (ou le beurre) et le zeste d’un citron râpé, jusqu’à ce que le lait soit entièrement absorbé.
Bien travailler au fouet la ricotta avec le sucre en y ajoutant tous les jaunes d’œuf jusqu’à ce que la préparation devienne une crème. Y ajouter le blé, la fleur d’oranger, les fruits confits, puis les blancs en neige.
Etaler la pâte sablée dans un moule à tarte, y verser la préparation (à hauteur de 3-4 cm) et la recouvrir de lamelle de pâtes sablée en les croisant pour former des losanges.
Passer au four à 180° pendant env. une heure. (Au bout de 50 minutes vérifier la cuisson en introduisant un cure-dent. S’il en sort collant, continuer la cuisson).
Saupoudrer de sucre glace après refroidissement.
La pastiera se fait le jeudi ou le vendredi de Pâques pour être consommée le dimanche. Elle se conserve env. 5 jours.
NB : on peut diviser les doses par 2
Maria Franchini
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